En 1901, Emile Zola, romancier français, dépeint la captation de la chaleur solaire comme l’une des découvertes qui permettrait de libérer l’humanité. Fantaisiste ? Il n’en est rien. En effet, il s’appuie sur des scientifiques comme Buffon, Lavoisier ou encore Saussurre qui ont mis en place les premiers capteurs solaires au XVIIIème siècle. Mais aussi l’ingénieur français Augustin Mouchot qui voua des années à l’expérimentation des réflecteurs solaires. Entre la guerre franco-prussienne et le puissant lobbying autour des énergies fossiles (houilles, charbon), ces tentatives pour développer ces techniques durables sont éludées. Même si la question de l’épuisement des ressources était déjà conscientisée ; l’argent et les enjeux politiques ont pris le pas sur la création d’un système pérenne et résilient. C’est alors que la notion du « APRES » disparaît, remplacée par une consommation immédiate et rentable. Globalement, les enjeux relatifs à l’énergie sont liés à une question technique alors qu’ils sont sociaux, organisationnels et politiques. En pleine crise énergétique et environnementale beaucoup d’individus et de collectifs se tournent vers les low-tech qui suggèrent une technologie utile, accessible et durable. C’est le cas d’Arnaud Cretot, ingénieur reconverti en artisan-boulanger qui grâce à son projet « Les vagabonds de l’énergie » a découvert puis ramené la technique de concentration solaire en France et plus particulièrement en Normandie. Nous sommes allés l’interroger sur son four à concentration solaire. Il y a douze ans, Arnaud Cretot, déjà conscient des gros enjeux liés à la question énergétique, suivait ses études en école d’ingénieur dans ce domaine. Déçu d’un apprentissage qui l’orientait vers des entreprises contribuant au problème, il choisit de se questionner sur les thématiques sociales et organisationnelles et décide avec son ami Robin de créer Les vagabonds de l’énergie dont le projet était un voyage autour du monde sur le thème de l’énergie. « L’idée est qu’on allait visiter ceux qui travaillaient sur cette thématique à tous les niveaux de développement. Des champs gazier dans la mer du nord de Norvège, des gens qui cultivaient des algues pour faire de l’hydrogène etc … C’est un petit monde où tu rencontres des personnes qui te renvoient à d’autres, c’est un réseau. » En parcourant le globe, ils se sont rendus compte qu’il n’y a pas de problème technique sur l’énergie et que les solutions existent déjà depuis longtemps. « Quand tu voyages, tu comprends très vite car la science étant la même partout, tous les pays du monde devraient choisir la solution la plus efficace alors qu’ils font des choix stratégiques où la technique a un tout petit rôle. Ce sont avant tout des questions géopolitiques et économiques. » Sur la centaine de projets qu’ils sont allés voir, c’est dans le Gujarat en Inde, où ils avaient posé leurs valises pendant deux mois et demi, qu’ils ont découvert le projet Solar Fire sur la concentration solaire. Ils ont construit un four de 30m2 capable de faire tourner un moteur à vapeur pour alimenter des pompes, des moulins et même produire de l’électricité en mettant une génératrice derrière l’appareil à vapeur. En quoi consiste ce concept ? « Il s’agit d’une surface composée d’un miroir coupé en plusieurs morceaux. Chaque petit miroir va aller pointer dans une fenêtre qui est placée en bas du four et les rayons du soleil qui passent par la fenêtre sont ensuite piégés dans ce dernier. Ainsi, il chauffe. Par exemple, moi j’ai une surface de 11m2 ces derniers vont rentrer dans une fenêtre qui ne fait même pas 1m2. C’est le concept de concentration solaire » En 2014, Solar Fire devient une entreprise finlandaise et Arnaud Cretot prend le rôle de directeur technique. Entre 2014 et 2019, il réalise plusieurs projets avec des ONG en Afrique, notamment au Kenya, dans des camps de réfugiés n’ayant pas accès à l’électricité. Etant dans une démarche très militante, il a eu besoin de construire en parallèle une stabilité économique. C’est ainsi qu’en 2017, il débute une activité de boulangerie puis de torréfaction. Le tout ancré dans une démarche locale et résiliente. « Je me suis dit qui si l’on faisait de la torréfaction solaire en Normandie, on n’allait pas faire venir les cacahuètes du Kenya mais trouver des recettes locales avec des graines locales. Ainsi, il y a un potentiel de développement en agriculture, cultures et emploi qui est juste énorme ». C’est ainsi que naît le projet NeoLoco. Un projet un peu fou de produits locaux conçu via une activité solaire, ce qui n’est pas très répandu. Leur slogan « Culture locale, changement social » résume assez bien la réflexion d’Arnaud. Pour lui, la concentration solaire est un outil énergétique pérenne contrairement aux autres qui dépendent de réseaux ou de terres rares. Comme il nous explique, c’est un dispositif pensé pour des activités de production et non pas pour la vie quotidienne où d’autres solutions existent déjà comme la maison bioclimatique. Ses questionnements s’organise autour de : Comment utiliser des énergies intermittentes pour faire perdurer les activités ? « Pour moi, il y a deux activités différentes : La boulangerie et la torréfaction. La première conçoit un produit frais et la deuxième, un de conservation. Les trois quart de ce que l’on conçoit dans le monde sont des produits de conservation. L’idée, avec la torréfaction, est d’avoir toujours un stock plein, ce qui ne te met pas à la merci des jours d’ensoleillement. Si tu gères ton activité de cette manière, tu n’as plus de problème d’intermittence de l’énergie. Quand elle est disponible, tu la prends et tu la mets dans le produit fini. C’est un mode d’organisation qui te permet de contrer l’argument selon lequel l’énergie solaire n’est pas viable pour faire tourner l’économie. Ce que je constate c’est que l’énergie intermittente n’est pas viable pour un système conçu pour fonctionner avec de l’énergie continue, il faut donc repenser le modèle et arrêter de taxer les stocks ». A travers, les propos d’Arnaud, ressort la nécessité fondamentale de reconsidérer nos modes de consommation et de production. En effet, notre société capitaliste a perdu le sens de ce qui nous est vital ou non mais a aussi habitué les gens à avoir accès à tout tout le temps sans réfléchir ni à la chaine de production ni à ce que représente un produit fini (la ressource utilisée, les moyens de transport, son coût énergétique, etc.). Le concept de concentration solaire nous force à revoir ce que l’on pourrait appeler notre adaptabilité, comme nous l’explique Arnaud tout en enfournant son pain : « Sur les six mois d’hiver, il n’y a que deux semaines où je n’ai pas pu faire de pain. Du coup, j’ai trouvé un système pour que les gens commandent à l’avance et où ils ne payent pas pendant deux semaines. Si tu considères que tu prends cinq semaines de vacances par an, ça rentre dans les comptes. Et au pire, il n’y a pas de pain pendant trois semaines, est-ce que c’est vraiment un problème ? Il y a des gens qui m’ont dit pour m’embêter « Quand il ne fait pas beau, on mange des biscottes ? » mais en fait c’est une très bonne idée ! ». Cependant, pour aboutir à ce raisonnement optant pour une consommation raisonnée et locale, cela demande une déconstruction profonde de nos habitudes culturelles et sociales qui est d’une part difficile à mettre en place et qui surtout prend énormément de temps. Alors même que cela fait trente ans que ce sont les mêmes constats énergétiques et environnementaux, les politiques actuelles réfléchissent sur du court terme plutôt que d’entamer les démarches de transformation profonde des mentalités. Pour Arnaud, il faut changer les organisations sociales en se posant la question de ce qu’est la culture. C’est ce qu’il appelle « la bascule culturelle ». « La culture est un ensemble de représentation et d’outils que tu transmets de génération en génération. Par exemple, on nous a appris à se laver les mains pour moins tomber malade. Quand tu expliques à tes enfants, tu ne leurs expliques pas tout le processus. La culture permet de ne pas t’encombrer, tu ne vas pas te dire tous les jours « je me lave les mains parce que j’ai des bactéries sur mes mains. », ça devient une habitude, ça fait partie du bagage culturel. Du coup, lorsque le contexte est stable, ce n’est pas un problème mais quand il change, c’est pertinent de se reposer la question de savoir pourquoi on fait ceci ou cela ? Pourquoi l’industrie est-elle structurée de cette manière ? Est-ce toujours intéressant qu’elle le soit ainsi ? Etc.. Et cette réflexion-là, on l’a perdue ». Ainsi, l’enjeu principal est de déconstruire pour reconstruire en passant d’un équilibre à un autre. Cela se met en place par une réflexion profonde sur nos modes de consommation comme travailler sur notre adaptabilité et nos modes de production. On pourrait par exemple construire nos industries à côté de concentrateurs solaires pour que pendant les périodes de beau temps, on utilise l’énergie disponible et se diriger sur une autre activité quand il ne fait pas beau. De plus, cette transformation des consciences passe par le fait que nous devons modifier nos réflexions en passant du moyen terme à du long terme. La concentration solaire est une technique qui marchera dans dix ans, vingt ans, cent ans… Alors que les solutions apportées aujourd’hui contre le réchauffement climatique ne visent pas le long terme. Malheureusement, le développement économique autour du charbon a littéralement tout écrasé pour laisser place aux énergies faciles (et fossiles) : Le charbon, le pétrole etc … Il faut savoir que l’on investit encore des milliards dans des champs gazier, ports pétroliers et ce sont des milliards qui sont perdus dans la mesure où, outre les conséquences désastreuses sur l’environnement, ce sont des énergies qui vont fonctionner pendant vingt ou trente ans et disparaîtront. C’est pour cette raison qu’en démarrant NéoLoco Arnaud avait l’idée « d’une activité qui soit viable économiquement aujourd’hui et demain. ». Pour lui : « Chaque fois que tu crées une activité qui est viable dans le monde de demain, tu contribues à apaiser le problème. Quand tu fais une activité de boulangerie, par exemple, et que tu n’as pas besoin de gaz, tu apaises les questions autour de cette problématique. Ainsi, tu bascules dans le changement culturel. Et en attendant, le jour où l’on sera au pied du mur, ce qui a déjà été fait, existera déjà et ce sera un petit peu moins douloureux. » Le projet NéoLoco est très bien accueilli en Normandie. Le but d’Arnaud est que ses activités de boulangerie et de torréfaction servent de support pour réfléchir et redéfinir nos modes de consommation et de production. Dans la mesure où, quand les filières sont relocalisées ainsi que la production, on développe les réseaux locaux. Les graines qui sont torréfiées dans le hameau d’Arnaud n’ont pas le même goût que celles qui le sont cinq kilomètres plus loin. « ça recréerait une diversité incroyable. C’est ce qu’il faisait pendant la guerre quand il n’y avait plus de café, les gens utilisaient des lentilles vertes, du pois chiche. On se renouvelle, on repense les choses intelligemment. Par exemple, le café décaféiné, c’est une ineptie car tu fais venir la graine de loin pour la dénaturer et lui enlever la caféine ; alors que tu obtiens un produit très similaire avec une graine qui a poussé juste à côté. ». Alors comme dirait Louis Simonin « mettons le soleil en bouteille » et concevons des produits au goût de nos terres !