Chapitre 1, page 1 "Mille huit cent vingt cinq jours se sont consumés depuis mon dernier voyage sur cette terre tant aimée et redoutée qu’est l’Inde. Comme à mon habitude quand je suis à l’aéroport, je savoure, assise à cette enseigne, ce café au goût caramel. Un rituel célébrant le passage du familier à l’inconnu. Ce n’est pas sans appréhension que je m’apprête à prendre mon avion. Même avec une dose de maturité en plus, je continue à me sentir comme une enfant qui retourne voir un professeur craint. Ça fait quelques jours que ça me trotte dans la tête comme un kick bass après une semaine de festival. Bangkok, vingt deux janvier deux mille dix huit. Je viens de passer deux mois chez mon meilleur ami à l’île de la Réunion où j’ai raté mon permis de conduire et obtenu mon dive master. Deux mois que j’ai une vie de moine solitaire sans alcool ni drogue et où je planifie l’avenir avec mon nouveau copain qui est je le crois, l’amour de ma vie. Pourtant, me fréquentant depuis vingt huit ans, je devrai me douter qu’il y a anguille sous roche… Mais je suis très forte pour faire des loupes. Assise confortablement, je rêvasse. Je me remémore avec nostalgie aux choses qui ont changé depuis que le temps s’est échappé. Les gens qui se sont glissés dans ma vie, ceux qui s’en sont sauvés. Les restaurants où j’ai fait du service, mes tentatives pour bosser dans la musique, mes trous noirs, mes rires et mes pleurs. Dans ce flot de pensées, je me demande si Mama India va une fois de plus me ravaler dans son univers mystique ? M’engloutir dans son doux mélange de beau et de laid, de dieux aux mille bras, de paysages féeriques, d’odeurs d’encens, de merde et d’épices ? L’Inde va-t-elle encore me bercer de son inlassable Sab Kuch Milega ? Soixante et un jours que je me suis offert le luxe d’avancer et de me poser. C’est un nombre faible comparé au bordel que j’ai mis dans ma vie pendant plus de dix ans."