"Je détourne le visage pour contempler le paysage et l’éternel spectacle que m’offrent l’Inde et ses habitants. Jamais, je ne me lasserai de cette parfaite combinaison composée du vert pétant des palmiers, de l’ocre profond de la terre et de tous ces baraquements de fortune majoritairement bleus qui viennent s’entasser le long des semblants de route. La poussière soulevée par les innombrables scooters, par le nombre incalculable de pieds qui marchent inlassablement, souvent sans but, par les sabots des vaches, des cochons ou encore par les enfants qui se chamaillent à moitié nus au milieu de la route après être allés à l’école, s’ils y ont été ; rendent vivant ces paysages oniriques ; tout comme les klaxonnes qui régulent la circulation, la mélodie de l’hindi qui s’échappe des échoppes, l’écho du chaï remué et versé des dizaines de fois dans une casserole bouillante, le crépitement des beignets baignant dans l’huile bouillante. L’inde est en perpétuelle ébullition. Impassible face à son chaos débordant. Une fois éloignés des terrains poussiéreux, je prends plusieurs inspirations pour m’imprégner de l’essence de Mama India. Je me rappelle que lors de mon premier voyage, l’odeur de l’Inde m’avait presque violée tant elle est invasive. Puis l’habitude finie par la transformer en repère que l’on pleure de retour sur nos terres aseptisées. Une vague de nostalgie me traverse pendant ma minute madeleine de Proust. Le souvenir de mon premier voyage en Inde me paraît si loin de ce que je peux vivre aujourd’hui. Si loin de ma soif de curiosité pour cette culture si particulière et mystique, de mes excursions à dos de chameau dans le désert du Rajasthan à apprendre à faire des chapatis et boire du whisky local avec les fermiers du coin ou encore de cet après-midi à fumer des chilloms chez un sadhu dans le village natal de notre hôte, entourée seulement d’indien et perdue dans la montagne. La tournure que prennent les évènements ici me rappelle mes livres de voyages, Flash, les routes de Katmandu… sauf que dans cette version, c’est moi l’héroïne. Sexe, drogues et la rencontre avec des personnes en quête d’ailleurs. Je n’avais pas du tout prévu ça en mettant les pieds ici, mais si j’ai au moins appris une chose en vingt huit ans, c’est qu’on est jamais sûr de quoi sera fait demain et encore moins quand on s’appelle Luz ! Cela doit fait un long moment que je me suis égarée dans mes pensées car nous sommes à l’orée d’Arambol. On parcourt la main street et nous nous garons à l’entrée de la plage. Le coucher du soleil commence sa mise en scène. Comme des spectateurs intrigués, nous allons nous asseoir sur la plage pour admirer le spectacle. Tandis que la pénombre prend sa place petit à petit, quelque chose d’incroyable se produit. Le soleil qui à l‘horizon est en équilibre sur la ligne de l’océan renvoie une lumière d’un violet unit. Tout ce qui nous entoure, nous inclus sommes intégralement de cette couleur. C’est comme être plongé dans un monde parallèle, je n’en reviens pas. J’entends l’étonnement des gens qui nous entoure et leur rire. On s’observe tous de la tête aux pieds. J’écarte mes mains devant moi, les retourne côté paume et inversement. Tout est si violet. Je lève les yeux vers le ciel couleur pastel. Il nous offre une fabuleuse aquarelle de nuages. Leur forme est floue comme si quelqu’un y avait plongé sa main pour les secouer. Dispersés en petit groupe dans cet infini plafond, ils se renvoient la luminosité des rayons du soleil créant ainsi les nuances de cette extraordinaire peinture. Yuka a roulé un joint d’excellent hash que je me délecte à fumer. Je me sens enveloppée d’un épais brouillard qui me fond au décor. Nous restons là sans parler jusqu’à ce que la dernière lumière ait tiré sa révérence." Liza Tourman.