Le début de son set est composé d’une infrabasse qu’il ponctue au fur et à mesure d’effets, c’est très expérimental. C’est comme s’il créait une masse vibratoire pour mobiliser nos cerveaux en un seul point. Il nous rassemble. C’est étrange et je dois avouer que j’ai du mal à me mettre immédiatement dedans. Quelle longue mise en place, ça ressemble à un rituel. Le chaman nous impose de prendre notre temps et le recul nécessaire pour percevoir les sonorités et les ingérer. Je n’ai jamais participé à un dj set supposé durer plusieurs heures. Il me faut donc l’appréhender sur un autre rythme si je veux comprendre. Puis après cette longue introduction, l’ébauche se concrétise. Je commence à me saisir des subtilités et me laisser entraîner. Je suis impressionnée par la finesse et la méticulosité de son set construit sur presque rien. C’est en même temps incroyablement minimaliste et d’une profondeur déroutante. Il désavoue les limites de l’impossible. Il nous pousse au delà de notre zone de confort, nous entraîne là où ça nous dérange jusqu’à tout faire péter et nous propulser dans un état de pleine conscience, libérés de toutes contraintes. Je suis ébahie de la justesse et la beauté de sa musique. C’est cathartique, je le ressens dans mes tripes. J’arrive même à oublier mon bourreau, désagréger mes pensées le temps d’une envolée. La musique et la fête ont pris possession de la plage indienne sur laquelle nous nous soûlons l’âme. Une larme de joie se forme au coin de mon œil droit. Puis c’est un silence brutal qui s’impose. Petit à petit, il est remplacé par le murmure de l’incompréhension. Le temps que les énergies redescendent complètement et c’est les protestations qui commencent à fuser. La police vient de stopper net le ponte de la trance en plein milieu de son set. Personne ne veut croire que l’on ait osé interrompre Goa Gil dans son art. L’inertie des gens prend un certain temps à se dissiper. Coupés en plein milieu de leur thérapie et habités par l’espoir de la reprendre, les noctambules mettent un certain moment à se disperser. Je suis tout autant concernée par les évènements. On vient de me couper l’herbe sous le pied. Je n’ai envie de parler à personne. Je monte les escaliers pour aller m’asseoir sur la terrasse du club. Un anglais me rejoint et me demande s’il peut s’installer à mes côtés. J’acquiesce et nous commençons à discuter. Il est très sympathique et me change de mes habituelles vibes israéliennes. Même si pour lui, c’est sûrement de la drague, ça reste pour moi une ruse pour combler le vide qui me tient au cœur. Me voyant accompagné, Yuka qui est entrain de parler avec la bruja et deux autres personnes déserte la conversation pour se rapprocher de moi. Je le suis d’un œil, jusqu’à ce qu’il me fasse face, me prenne le menton de sa main et dépose un baiser territorial sur mes lèvres. Je suis déstabilisée et un coup d’œil me suffit à dire que la bruja qui a suivi la situation, l’est aussi. Malgré l’animosité que je nourris envers elle, je vois d’une certaine façon en elle, une alliée. Nous sommes sur un pied d’égalité dans notre résignation à préserver nos égos. - Quel est ton plan joli fleur ? - Il vient de me dire que la nuit continuait au UV. - Tu veux y aller ? - Tu veux bien faire mon taxi ? J’ai envie de continuer à danser. - Oui, je reviens te chercher quand je pars. Je le regarde s’éloigner, les idées dans le brouillard et à cogiter. Je déguise la réalité pour me persuader que je tiens encore les rames de ma barque alors que ça fait bien longtemps que seul le souffle du vent circule entre mes doigts. Quelle manière bien grossière de mutiler mes sentiments. Je me sens seule face à ma frustration. Liza Tourman.