Pushkar. Rajasthan. J’ai foulé son sol, il y a six ans lors de mon premier voyage en Inde. Je m’en rappelle comme un souvenir apaisé et reposant. Loin de celui dans lequel je me hasarde aujourd’hui. Dans ce village à l’orée du désert, surplombé par deux collines aux vues insolites ; abritant de vieilles bâtisses, plus de quatre cent temples et un lac sacré où les habitants viennent laver leur linges, faire leurs pujas et dont on ne se lasse jamais de faire le tour tant il y a de curiosités ; je cuve ma séparation avec Louis mais aussi une relation compliquée avec Yuka. Je me suis rendue à l’évidence en quittant Goa que ce dernier n’était qu’un confortable écran pour me cacher deux vérités : La fin de ma relation et mes sentiments pour Yuka qui dépassent la simple aventure. Les longues heures de trajet m’ont permises de prendre une décision. Il m’était impossible de continuer à le blesser, c’est suffisant de me faire souffrir. Je n’ai le droit d’attirer que moi dans mes chimères sans réponse. Pushkar est loti d’une vieille ville dont les ruelles étriquées et bourrées d’échoppes sont une invitation à la flânerie. Les habitations aux coloris bleu et rose déconfis font de lui un lieu sage. C’est, depuis plus de mille ans, un endroit de pèlerinage pour les hindous dont la tradition védique nous dit que son lac est l’un des cinq plus sacrés de l’Inde. On vient purifier son âme et son corps en s’immergeant dans ses eaux troubles. Selon la légende, un roi atteint de vitiligo y plongeant sa main pour se rafraichir a vu subitement ses marques disparaître. Depuis les hindous affluent pour soigner divers maux dont ils sont touchés. C’est aussi une terre de rassemblement pour les backpackers dont l’imaginaire associe son nom au mystique. Les restaurants et hôtels bons marchés offrent la possibilité de rester un long moment pour flâner, développer son art ou se défoncer en toute quiétude. Haut lieu de trafique d’ampoules et de charras, les dealers s’y ravitaillent et les consommateurs s’y font planer à bas prix. C’est dans cet univers étrange que vivent en harmonie tous ces individus aux personnalités complexes et variées. (...) Page 132 Un des éléments déstabilisateurs est que je partage une chambre avec Yuka. Julie et Or étant maintenant un couple officiel et le prix des chambres aussi élevé que la tentation, je n’ai pas su résister. Les premiers soirs, j’ai surpris Yuka glisser sa main moite dans la mienne pour s’endormir. J’ai senti son corps brûlant se blottir contre moi les matins où il rentrait enfiévré. Nous avons fait l’amour toujours plus intensément, il m’a désiré et cherché des journées entières tandis que je feignais de m’éloigner. Puis un jour, il a tout simplement arrêté de me parler. La discussion n’était pas envisageable dans la mesure où j’avais constamment peur de l’étouffer et où son quotidien de défonce nous faisait nous coucher à des heures diamétralement opposées. C’est la fin d’après-midi. Je suis étendue sur le lit avec un paréo et mes sous vêtements pour seuls habits. Je lis la nuit des temps de Barjavel dans l’espoir de m’échapper dans ce monde de glace loin de l’ambiance étouffante qui règne à Pushkar. Nous avons décoré les murs verts de notre chambre par des tentures que nous avions en notre possession. J’ai placé la guirlande de loupiottes que j’ai acheté hier au marché aux quatre coins du plafond. Sa lumière blanche tamisée ainsi que les bâtons de tulsi et les bougies que je fais brûler en continu consolent mon cœur oppressé. J’écoute l’album The Great Mystery de Desert Dwellers dont les éléments sonores de la nature couplés à une basseline chillout me font voyager dans leurs multivers brodés de mysticisme. Liza Tourman.