Cinq jours que nous nous ressourçons à Pokhara, deuxième ville la plus importante du Népal. Nichée à huit cent vingt-sept mètres d’altitude, elle est le point de départ des trekkeurs pour les excursions dans les montagnes de l’Annapurna. Nous y attendons Jo, un ami de voyage de longue date pour emboiter le pas aux marcheurs et nous lancer nous aussi dans une randonnée de plusieurs jours au cœur de l’un des sites les plus emblématiques du pays. Situé autour du lac de Phewa, Pokhara est à l’exemple de Goa et de Pushkar, une terre d’exil où le climat pour les néo-hippies et backpackers y est délectable. Les chilloms et les joints se consument dans les restaurants du quartier touristique, encensant sans aucun répit l’ensemble de ces lieux de rencontre et les y plongeant continuellement dans un épais nuage de fumée narcotique. On y apaise ses fringales en se nourrissant de momos à quatre-vingt-dix roupies et on y refait le monde autour de chaïs bouillants. L’ambiance est une invitation constante à l’oisiveté mais aussi à la création car dans cette ville centrale népalaise, le temps est comme suspendu et hors du monde. Déconnectée de toutes les formes de parasitage pouvant nuire à la créativité, beaucoup sont ceux qui y ont trouvé refuge pour développer leurs arts. Nombre d’expatriés y ont fait fleurir de petites échoppes de pierres précieuses, de restaurants végétariens, de cours de yoga, de création de bijoux ou encore d’argenterie en abondance. C’est un petit paradis pour flâneur utopiste d’ici ou d’ailleurs en quête de paix et de sécurité. Loin de la misère sociale par laquelle sont touchés les trois quart du Népal, Pokhara a de plus été épargnée par les ravages du tremblement de terre de deux mille quinze, l’éloignant de la sombre réalité de Katmandou et de ses quartiers détruits et endeuillés. (...) Le temps partagé ensemble à Pokhara ancre irrésistiblement le lien auquel Yuka et moi avons donné naissance depuis que l’on s’est offert une seconde chance à Pushkar. Nous vivons de longues après-midi dans le cocon de notre chambre à se reposer dans le silence de l’autre. Sa tête posée sur mon ventre suit quiètement les va-et-vient de ma respiration apaisée et régulière. Yuka n’est pas quelqu’un de loquace, il a acquis cette sagesse de ne pas démasquer par des mots inutiles le mystère qu’il nourrit au fond de lui, combler par une parole vaine des silences aux significations abyssales. Ce silence, c’est le lieu privilégié de nos rencontres, là où l’on s’apprend, l’on se sent et se déchiffre. Les moments où il vient me déposer son histoire, je parfais ma discrétion pour mieux l’écouter et le recevoir. Ils sont rares et je n’ai pas oublié l’animal sauvage qui l’anime ; même si Je n’ignore pas qu’à la manière du renard et du petit prince j’ai, moi aussi commencé à l’apprivoiser. Sa respiration paisible et ses traits relâchés m’expriment quelque chose de bien plus essentielle que tous les récits de vie qu’ils pourraient me conter, à savoir notre communion tacite. Ses silences parlent et il me suffit d’ouvrir les oreilles pour entendre son cœur me murmurer ses secrets. Cette relation de silence et de profond partage lève le voile sur l’imperceptible homme qu’il est, et je ressens une éternelle gratitude qu’il m’ait choisie pour l’expérimenter. Liza Tourman.