Le Gypaète barbu, un oiseau sauvé de l’extinction.
Longtemps prénommé l’oiseau de Satan, cet impressionnant vautour aux yeux jaunes entourés de rouge a terrifié les populations du XIXème siècle. A tel point qu’il a été persécuté et éradiqué. Imaginez, ce roi des falaises de trois mètres d’envergure se prélassant dans la boue rouge, imprégnant ainsi son poitrail pour impressionner ses congénères. Après s’être imbibé de ces eaux ferrugineuses, riches en fer, il sort se pavaner, sauf qu’au lieu d’intimider les siens, il effraie les paysans qui le croit l’ami du diable et tueur d’enfant. Si la légende fut... Le gypaète lui, fut exterminé.
« Il a disparu de la Suisse au début du XXème siècle. Il avait une très mauvaise image vis-à-vis des paysans qui pensaient qu’il volait les agneaux, les moutons et même les enfants ! Il a été persécuté puis mené à l’extinction. » Nous confie Julia Wildi de l’association Réseau Gypaètes de Suisse Occidentale.
Le Gypaète barbu tient son nom de sa touffe de plumes présente sous son bec qui lui donne l’impression d’avoir une barbe. Sa queue est en forme de losange. Malgré sa beauté incroyable, son allure parfois effrayante prendra le pas sur sa réputation.Pourtant, fort est de constater que l’habit ne fait pas le moine. Ce vautour est en fait un charognard qui se nourrit exclusivement d’os comme nous l’explique Julia Wildi :
« Il faut savoir qu’il ne va jamais tuer pour manger. C’est possible que comme il rembourre ses énormes nids avec de la laine, les gens se sont dit « oh, si c’est comme ça, c’est qu’il doit manger les moutons ». Il est impressionnant, imaginez-vous, il peut aller jusqu’à plus de 3 m d’envergure, il a le contour des yeux rouge, ce qui ne donne jamais vraiment une bonne impression. »
Pourtant, sa dénomination de charognard fait de lui un précieux allié écologique. En effet, il nettoie la nature des cadavres d’animaux et prévient in fine de la propagation d’épidémies et de parasites. Il protège aussi les courants d’eaux de la pollution liée à la décomposition. Pour l’anecdote, si ce vautour trouve que les os sont trop gros pour être mangés ou transportés, il part à la recherche de gros cailloux dont ils s’emparent pour les jeter du ciel afin de les briser en mille morceaux. Perspicace, n’est-ce pas ?
Néanmoins, bien qu’il soit un atout vital à la biodiversité, ce n’est qu’en 1986 qu’il est réintroduit dans les Alpes. Il est aujourd’hui l’un des rapaces les plus rares d’Europe et c’est pour cela que des associations comme le réseau des Gypaètes de Suisse occidentale se battent pour sa préservation.
Rétrospective sur l’histoire de sa réintroduction.
En 1974, quatre oiseaux sauvages sont capturés en Afghanistan, ils ont été maintenus en captivité dans des centres spécialisés de la Haute-Savoie afin de constituer des couples reproducteurs. Au total, onze oiseaux ont été importés mais à la suite de nombreuses péripéties, 4 moururent, 3 furent libérés et 4 iront former des couples reproducteurs dans un projet ultérieur (Coton, Estève, 1990 : 228). Dés 1986, un programme international de réintroduction voit le jour. Ce dernier consiste à relâcher des jeunes oiseaux nés en captivé dont la provenance se partage entre plusieurs parcs zoologiques européens. En 1987, la Suisse décide de fusionner l’ensemble des projets de réintroduction dans les Alpes en un seul programme de conservation. Les protocoles à suivre sont compliqués et minutieux comme nous le détaille Julia Wildi.
« Ils sont nés en captivité et forment des couples choisis par les éleveurs selon leur profil génétique. On ne peut pas les forcer à se choisir donc il doit vraiment y avoir un process naturel qui s’effectue. Il faut savoir que les femelles pondent par deux œufs. Il y a en a un qui est enlevé et mis sous couveuse et l’autre laissé avec les parents. Puis, il est réintroduit auprès des parents quand il est né afin d’être élevé par les Gypaètes pour qu’il n’y ait pas domestication. Quand il sera prêt, il sera amené à l’endroit d’où il sera relâché après avoir été bagués et marqués afin de pouvoir les suivre tout du long de leur vie. On les amène à une falaise avant qu’ils ne sachent voler, là où ils sont bien à l’abri. Il y a quelqu’un de l’association qui est sur place pour vérifier que tout va bien et puis après deux trois semaines, ils prennent leur envol. A partir de ce moment-là, on ne s’en occupe plus, on va juste rester attentif à savoir où ils vont. »
De facto, l’homme a par sa volonté de réintroduction, une responsabilité intrinsèque envers lui. Il doit vérifier que sa population se maintienne pour survivre. Même si les chiffres montrent qu’elle est en augmentation, elle reste vulnérable. Dans les Alpes, on avoisine les 200 à 300 individus. Il faut constamment vérifier que l’on ne retombe pas dans le même problème qu’avant. Car la vision négative des Gypaètes n’a pas complètement disparu. Puis comme nous le rappelle Julia, il y a en plus du facteur de protection celui de la « diversité génétique qui est primordial. A ce niveau-là, il y a encore des lâchés de Gypaètes dans plusieurs endroits comme les Alpes, la Corse et les Pyrénées pour équilibrer cette diversité génétique ». De plus, ce protocole de réintroduction passe aussi dorénavant par la mise en avant de l’image du Gypaète notamment dans la promotion touristique comme par exemple les écoles de ski ou encore de parapentes qui en font leurs emblèmes. C’est «tout un travail d’information qui a été mené et qui a été crucial. Le fait que ces Gypaètes ont été persécutés est parti d’un mythe. Comme aussi, le fait que les gens ne savaient pas que le Gypaète mangeait exclusivement des os. Alors que maintenant, quand on demande aux gens, la plupart d’entre eux savent. Il y a eu tout un travail de sensibilisation, des articles dans les journaux. Ce travail se fait à grande échelle avec la participation de tous les pays qui militent à sa protection. C’est assez drôle parfois, on rencontre des gens qui ne connaissent pas les oiseaux mais qui vont te dire « Ah un Gypaète ». », nous révèle encore Julia observatrice du Réseau des Gypaètes.
La volonté de réintroduire ce vautour maltraité par les croyances que l’homme se raconte avec vivacité depuis la nuit des temps, met en avant un équilibre possible entre ce dernier et la nature. Il dénote qu’une cohabitation est possible et que l’homme doit renoncer à son anthropocentrisme pour permettre « une coexistence moins conflictuelle entre humains et non-humains, et tenter ainsi d’enrayer les effets dévastateurs de notre insouciance et de notre voracité sur un environnement global dont nous sommes au premier chef responsables (Descola, 2005 : 276) ». Tout ceci semble encore plus évident lorsque l’on sait que nos alliés les plus précieux se trouvent d’ores et déjà dans cet alliage parfait qu’est le fonctionnement du vivant. Pour ne citer qu’eux : Les renards qui endiguent la maladie de Lyme, les insectes qui sont nos pollinisateurs et qui décomposent les déchets pour les transformer en matière organique ou comme nous venons de l’écrire les Gypaètes barbus qui débarrassent la nature des cadavres. Il est incontestable que les animaux ne doivent pas être envisagés seulement comme des « moyens utiles » à nos fins et que la globalité de la vie sur terredoit être protégée sans exception. Mais lorsque l’on pense aux tonnes de produits chimiques et autres intrants que nous utilisons pour pallier le vivant que nous sommes en train de tuer, il serait grand temps de nous poser de sérieuses questions.