Dans un ultime élan désespéré, en équilibre sur la pointe des pieds, il a sorti sa boîte à raison. C’est un bel objet proche d’une antiquité. Des couleurs ternies et une pellicule de poussière lui accordent le respect que l’on donne au temps ou à celui qui l’a vécu. Des angles perpendiculaires calculés avec précision et attention. Cette même définition que l’on donne à la raison. Il a longtemps hésité avant d’aller la déloger de son étagère. Une à une, il a monté les marches de l’escaliers menant au grenier. Et une à une, les planches en bois ont crié sous ses pieds se plaignant de n’avoir jamais été utilisées. Il sait qu’il a toujours suivi ses sens et son instinct. Soucieux de préserver et faire honneur à sa sensualité. C’est par son doux souvenir qu’il a trouvé la force de gravir ces marches et d’étouffer leurs plaintes. Cette douce étreinte, ce plaisant pincement qui se blottît dans le creux de notre ventre pour faire place à un amour naissant. Celui qui lui a justement fait reléguer la raison à l’intérieur de cette boîte, là-haut dans le grenier. Qu’il était bon ne plus avoir à courir après le temps. Croire qu’il avait été possible de réinventer les règles de la physique et d’avoir ainsi gagné le premier rôle dans l’incroyable histoire de Benjamin Button. Chaque étreinte devenait le fruit d’une nouvelle promesse, d’une nouvelle terre encore inexplorée. Chaque réveil était comme le plongeon dans un doux rêve éveillé. Seulement un matin, quelque chose l’a titillé. La nouvelle promesse avait encore un léger goût d’hier. Puis petit à petit, elle s’est mise à devenir amère. Elle s’est figée dans le temps avant de faire doucement machine arrière. Donnant cette impression d’avoir vider le paquet d’allumettes. Finis les étincelles. C’est là que les matins ont commencé à se ressembler. C’est là qu’il a compris qu’on ne défiait pas les lois de la physique et que peut-être la vie n’était en fait qu’un éternel retour. Qu’à trop vouloir s’enlacer et s’aveugler, les étreintes ne faisaient que rider notre peau. Que peut-être s’aimer, c’était parfois aussi laisser l’autre partir. Alors délicatement, il a laissé glisser le drap de la sensualité sur le plancher puis s’est levé. Regardant avec nostalgie la trace de son histoire s’effacer de l’oreiller. Il s’est dirigé sur la pointe des pieds vers cet escalier pour atteindre cette trappe qu’il s’était promis de ne plus utiliser. Il l’a soulevée délicatement puis s’est introduit au cœur du passé qu’il l’a enlacé avec familiarité. Qui lui a rappelé qu’il y a eu un avant où il vivait. C’est ce qui lui a donné la force d’aller chercher sa boite à raison. Celle qui lui dira qu’un futur heureux l’attend Et celle qui lui a murmuré que parfois aimer s’est faire taire son égo blessé pour laisser l’autre s’en aller. Liza Tourman.