Introduction. «Dans le Code civil français, la faune sauvage est considérée comme « res nullius », une chose qui n’appartient à personne et que chacun peut s’approprier. (…) Du moins en théorie, car un grand nombre d’espèces sauvages sont désormais protégées à divers niveaux par le Code de l’environnement, ainsi qu’une succession d’arrêtés ministériels venant l’appliquer1. ». Le 25 Mai dernier, c’est à Pont-Sainte-Maxence que le maire Arnaud Dumontier savoure sa victoire sur la validation de son arrêté concernant l’interdiction de la chasse à Courre près des habitations de sa commune. Cette pratique d’un autre temps, interdit dans nombre de pays d’Europe dont l’Angleterre, son berceau d’origine, reste un sujet sensible en France.
Victoire pour Arnaud Dumontier et l’association ASPAS (Association pour la Protection des Animaux Sauvages.).
Le 25 Mai dernier à Pont-Sainte-Maxence, commune de l’Oise de 12 600 habitants, le juge a ratifié l’arrêté pris en 2018 par son maire, Arnaud Dumontier, suivant lequel la chasse à courre est interdite « dans toute l’agglomération à proximité des secteurs urbanisés, et dans tous les cas, dans un périmètre de 300 mètres aux abords des habitations ». Il a d’abord été validé en première instance puis en appel. De plus, le maire proscrit la mise à mort des animaux sur tout le territoire de ladite commune. Son argument est d’importance, car il s’agit de protéger la population. En effet, en 2018, plusieurs incidents liés à cette pratique ont contribué à troubler l’ordre public. Pour n’en citer qu’un, celui d’un cerf pourchassé par une meute de chiens qui s’est retrouvé dans le centre de la ville. Arnaud Dumontier s’était alors insurgé : « "On ne descend pas avec une meute de chiens dans les rues de Pont-Sainte-Maxence, derrière un cerf ! Un cerf, ça fait 1m80 de hauteur et 200 kilos, imaginez qu'il percute un être humain ou un véhicule dans sa course ! ». C’est donc sur un raisonnement sécuritaire et de tranquillité que la cour a rendu sa décision en apportant son soutien à ce dernier. Ne pouvant satisfaire les intérêts de tous, la Fédération des chasseurs de l’Oise a décidé de se pourvoir en cassation. Pour ces derniers, le maire a dépassé ses droits en interdisant le passage dans la forêt domaniale, malgré le fait qu’elle soit mitoyenne avec les habitations. La Fédération défend sa position : Certains points de l’arrêté seraient illégaux, ils dénoncent le militantisme anti-chasse dont fait l’objet l’opinion publique. Et dernier point, le président assure que les faits sont marginaux et amplifiés par les réseaux sociaux. Ainsi, la FDC 60 va faire appel à un spécialiste du droit en cassation en arguant de la remise en question de l’arrêté quant à la propriété privée.
La chasse est une pratique en chute libre. « Pendant la campagne de 2016-2017, on a recensé 1,139 million de permis de chasser en cours de validité, pour un petit million de permis de chasser de pratiquants réels. En 1975, les chasseurs étaient plus de deux millions.2 ». La chasse à courre, une des branches de la battue, compte 10 000 pratiquants, 100 000 sympathisants répartis dans 390 équipages partout en France. Quelle est donc cette pratique controversée vieille de 600 ans ?
La chasse à courre, une histoire de traditions cruelles.
La chasse à courre est apparue France à la fin du Moyen-Age avec François 1er, son père fondateur. Connue aussi sous le nom de vénerie, elle est une pratique de chasse qui consiste à poursuivre un animal avec une meute de chiens jusqu’à son épuisement. La mort est provoquée par une arme blanche, dans une ébauche symbolique de combat physique entre la bête et l’homme, faisant ainsi référence au Moyen-Age. Le corps de la victime est ensuite partiellement donné aux chiens en guise de récompense ; la tête, prise pour trophée, et les pattes sont coupées pour être offertes aux invités méritants. Trois genres de véneries existent : - La grande vénerie qui se pratique à cheval et se concentre sur les grands mammifères tels les cerfs ou les sangliers. - La petite vénerie qui s’exerce à pied et s’oriente vers de plus petits mammifères tels que les lapins ou les renards. - La vénerie sous terre qui, elle, consiste à acculer sous terre un blaireau ou un renard puis à détruire son terrier. L’animal ainsi visible est attrapé par des tenailles et tués avec ses petits, s’ils n’ont pas d’abord été déchiquetés par les chiens.
La chasse à courre se prévaut d’être une pratique qualitative et non quantitative. Un seul animal est tué par sortie. Ses détracteurs y voient la perpétuation « d’un art cynégétique particulièrement subtil » vieux de plusieurs centaines d’années et non une régulation des populations sauvages. Cette activité très codifiée voire ritualisée utilise des termes spécifiques pour décrire les différentes étapes de cette dernière. Comme « la Curée » qui est la cérémonie où les chasseurs festoient autour du corps de l’animal ou encore « la Nappe », qui désigne le moment où le veneur détache la peau de l’animal afin de la soulever comme une nappe de pique-nique pour exciter les chiens autour de la carcasse.
Plusieurs problèmes éthiques se posent. Tout d’abord celui d’une souffrance animale extrême engendrée notamment par un stress physique et psychologique insoutenables. Des chercheurs ont prélevé du sang d’un cerf chassé au fusil puis d’un autre, cible de la chasse à courre. Il s’est avéré que chez ce dernier, la concentration en cortisol était particulièrement élevée ainsi que le taux de dégâts causés au niveau des globules blancs. Il en a été conclu que les dommages sont plus conséquents que ceux perpétrés sur des animaux touchés par balle et décédant après plusieurs jours. De plus, même si certains animaux survivent à la chasse à courre, ils meurent pour la plupart du temps quelques heures après des suites d’une intoxication sanguine. Les proies ne sont malheureusement pas les seules victimes de cette pratique d’un autre âge. En effet, les chiens utilisés tels des outils « désanimalisés », travaillent 5 jours par semaine et 6 mois dans l’année. Quand ils ne sont pas lâchés, ils sont entassés dans des chenils. Pendant les périodes de chasse à courre, ils sont soumis à des conditions physiques extrêmes. Il n’est pas rare que certains d’entre eux soient perdus ou tout simplement abandonnés. Une fois obsolètes, les plus vieux d’entre eux sont euthanasiés ou donnés à la chasse à tir. Puis, vient ensuite les chevaux, lancés sans échauffement, harnachés toute la journée et montés par des cavaliers inexpérimentés utilisant des équipements inadaptés comme des éperons, sans oublier les coups de cravache, les mors à effet de levier sévère ou encore des enrênements contraignants.
Alors que cette pratique barbare est déjà interdite en Allemagne, en Belgique ou encore en Angleterre, la France est encore loin d’avoir franchi le cap. Pourquoi ?
Etat des lieux du statut de la chasse à courre en France et lutte pour son interdiction.
La chasse à courre se pratique en France environ du 15 septembre jusqu’à fin mars. Pourtant, mars est le moment où les lièvres sont en pleine période de reproduction, les biches ne vont pas tarder à mettre bas et les renards ont leurs petits à nourrir. Que dit la justice contre cette pratique anti-vivant ? Plusieurs articles de loi existent pour tenter de réguler la chasse à courre. Seulement, ils sont pour la plupart régis par des alinéas qui permettent de les contourner : - L’article L 224-4 du Code rural : « Pourra ne pas être considéré comme une infraction, le fait du passage des chiens courants sur l’héritage d’autrui lorsque ces chiens seront à la suite d’un gibier lancé sur la propriété de leur maître, sauf l’action civile, s’il y a lieu, en cas de dommage. » De plus, ces chasseurs disposent aussi d’un « droit de suite » pour mettre à mort l’animal chassé chez des particuliers ! Parfois même le cerf poursuivi se réfugie dans un jardin en ville. Lorsqu’il est pris, mourant d’épuisement, l’animal est « servi » (tué) à l’arme blanche. Ou encore : - L’article L422-1 du Code de l'environnement dispose que « Nul n'a la faculté de chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit. », l’article L420-3 du Code de l’environnement annonce lui clairement qu’ « Achever un animal mortellement blessé ou aux abois ne constitue pas un acte de chasse »… Autrement dit, les chasseurs peuvent poursuivre leur traque même sur une propriété privée si l’animal est épuisé ou blessé.
Cependant un arrêté paru le 1er mars 2019 interdit désormais les veneurs de poursuivre les animaux jusque dans une zone habitée ou commerciale. C’est un petit pas direction d’une opinion publique qui se déclare majoritairement contre cette pratique. 4 français sur 5 sont contre la chasse à courre, 3 sur 4 veulent son interdiction immédiate. De plus, 85 % considèrent cette pratique cruelle, 76 % la qualifient d’obsolète et 72 % de dangereuse.
Où réside donc le blocage qui empêche son interdiction ?
En Novembre 2017, Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique « souhaitait un débat de société sur la chasse à courre ». A la suite de son allocution, de nombreuses pétitions ont vu le jour pour demander son abolition pure et dure. En parallèle, le président Emmanuel Macron reçoit des membres de la FNC (fédération national des chasseurs) pour « réaffirmer son soutien aux chasses traditionnelles et à l’ensemble des modes de chasse dont la vénerie fait partie. ». En Janvier 2018, une proposition de loi « relative à l’interdiction de la chasse à courre » a été enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale. Sans suite.
Face à ce blocage politique, EELV (Europe écologie les verts) demande une votation citoyenne pour exiger son abolition. A l’instar de la campagne pour le référendum d’initiative partager (RIP) sur les animaux, d’ailleurs toujours en cours, les verts ont exprimé leur souhait de consulter démocratiquement les citoyens sur le statut de la chasse à courre. De plus, ils proposent à l’échelle régionale « d’annuler tous les financements vers ce type de chasse » et de « protéger les réserves naturelles » de la vénerie.
Conclusion De tout temps, la question des traditions a toujours été un sujet délicat tant elles sont ancrées dans notre culture. Se débarrasser d’anciennes habitudes ou de rituels désuets demande une gymnastique du cerveau parfois complexe. Cependant, cela devrait être une évidence face à une telle cruauté envers le monde animal et sensible. Torturer ne devrait être le droit de personne mais sévèrement puni et interdit par la Loi, sans négociation aucune. Même si les pétitions contre cette activité gagnent de plus en plus de terrain (certaines d’entre elles avoisinent les 500 000 signatures) et qu’un sondage IFOP annonce que 84 % des personnes interrogées sont favorables à son interdiction, il n’en reste pas moins que cette pratique perdure et que la lutte en vue de son éradication est loin d’être terminée.