De la Benne de recyclage aux plages africaines, parcours d’un vêtements de second main
Un like, un clic, tu scrolles. Une jupe, un jean, tu jettes. Puis, on reprend les mêmes et on recommence, inlassablement, indéfiniment … La logique du tout éphémère et du tout jetable est entrée et ancrée dans nos vies de manière irrésistible … Un monde dans lequel tout ce qui ne nous convient pas à la perfection ou qui est passé de mode doit être jeté sans aucun remord, sans pitié, sans réflexion. En même temps, imaginons une politique capitaliste du tout recyclable, non plus basée sur l’immédiateté mais la pérennité de chaque chose, parce que chacune est unique et précieuse qu’elle soit humaine ou matérielle ? Un oxymore dirons-nous. Exact. Nos dirigeants et grands PDG en tout genre ont vu plus grand et plus pernicieux pour préserver l’immuabilité de leur système. On parle de green-washing pour les énergies vertes et de recyclage pour les vêtements usagés ou dépassés de la semaine. Ainsi, il est possible de consommer du tissu à l’infini sans passer par la case du questionnement autour de la production, de l’énergie consommée voire de la nécessité d’acheter toujours plus. Derrière les martellements du « tout recyclable » se cache un « business de la seconde main », une marchandisation qui finit souvent sur les plages africaines. Telles sont les sournoiseries des politiques capitalistes : la pollution chez nous, non. Ailleurs, c’est mieux. Qu’advient-il de tous nos vêtements une fois qu’ils sont déposés dans nos bennes de recyclage ? Comment la qualité de ces derniers a-t-elle évolué ces dernières années notamment avec le phénomène de la fast-fashion ? Qu’en est-il de la seconde main ? Est-elle une illusion pour continuer à consommer avec frénésie ? Quels sont les acteurs qui se battent dans l’ombre afin de promouvoir une production et une consommation raisonnées de l’industrie de la mode ?
La fast-fashion, un phénomène à l’image de notre mode de consommation du tout-jetable.
Dans un monde où la culture est régie non par la raison mais sur l’apparence, il est évident que le secteur le mieux placé pour véhiculer ce mode de vie est celui du prêt-à-porter. Il est tellement palpable qu’on lui a même donné un nom : La fast-fashion. Cette tendance du « wear-it-once » propagé par les réseaux sociaux depuis 2015 consiste à utiliser un vêtement lors d’une unique journée avant de le reléguer aux oubliettes. Ce phénomène est facilité par la mondialisation de la chaîne de production ainsi que l’expansion commerciale. Ces derniers ont inévitablement réduit les prix depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Pour quel profit ? Celui d’être dorénavant l’une des activités qui rejettent le plus d’émissions de gaz à effet de serre (deux fois plus que tous les avions de ligne de la planète). En effet, l’industrie textile rejette 17 milliards de CO2 par année. Il faut savoir que pour la conception d’un jean, on utilise 8000L d’eau ainsi que 75gr de pesticides. L’utilisation des teintures est aussi une cause de pollution exponentielle. En effet, les métaux lourds comme le plomb, le mercure ou encore le chrome ainsi que les produits chimiques utilisés dans ce procédé sont déversés directement dans les rivières ce qui est illégal. Seulement les stations d’épuration des pays comme le Bangladesh sont fermées car personne ne veut les payer afin que l’industrie reste compétitive. Ainsi 15000m3 par jour de rejets toxiques sont éparpillés dans la nature. Les rivières meurent, le business flambe. Ça vaut bien une photo Instagram nous dira-t-on. Ou plutôt le shoot de sérotonine provoqué par un « like » fût-il d’un parfait inconnu. La reconnaissance sociale n’a pas de prix. Ces chiffres sont vertigineux et pourtant ils sont en pleine expansion. Selon une étude de l’ONG britannique Barnado’s, un tiers des femmes interrogées sont d’accord pour dire qu’après avoir été porté plus de trois fois, un vêtement est déjà « ancien » et par voie de conséquence jetable. Pour évoquer d’autres chiffres tout aussi étourdissants, penchons-nous sur ceux publiés par un collectif de chercheurs dans une étude appelée « The environmental price of fast-fashion », sortie au printemps dernier. 40 %, c’est l’augmentation depuis le début du millénaire du nombre de vêtements achetés chaque année en Europe. Moitié moins, c’est la diminution du nombre de fois qu’un même habit est porté par une personne. Les dépenses moyennes des Européens en terme vestimentaire atteignaient 30 % de leur budget dans les années 50 pour arriver à 5 % en 2020. Cela paraît incroyable ? Pour cause, le diable se cache dans les détails. Ce gain de budget n’est possible que par le biais de site comme ASOS ou encore Amazon dont l’impact désastreux sur l’environnement ainsi que sur les conditions de travail ne sont plus à démontrer. Une fois le cerveau pris dans les méandres du cercle du désir , il est évident que les prix de plus en plus bas sont des appâts redoutables dans cette consommation effrénée. La dernière trouvaille en date pour entretenir cette tendance à la toute consommation : le tout recyclable. Les grandes marques vous proposent de reprendre vos vêtements usagés contre un bon d’achat. Aubaine pour les personnes à faible revenu ou pour les familles nombreuses mais aussi une stratégie pour conscience tranquille de consommateur avide de dépenser. Mais où partent nos vieux vêtements ? Quel est leur destin une fois déposé au comptoir ou encore dans ces bennes tant connue à la couleur blanche défraîchie ?
Du recyclage à une marchandisation du don.
Qui n’a pas un jour déposé dans une benne de recyclage situé au coin de sa rue, un ballon de vieux vêtements lavés et repassés dont on ne voulait plus et dont on souhaitait faire profiter des familles dans le besoin ? Vous êtes-vous déjà posé la question de ce qu’il allait réellement en advenir ? Au même titre que l’on ne nous apprend pas à penser la chaîne de production d’un objet fini, notre réflexion s’arrête bien souvent lorsqu’a claqué la benne, débarrassé de notre besace. Et pourtant. 3 %, pourcentage de la quantité de vêtements incinérés ? Il n’en est rien. C’est le nombre ridicule d’habillement redistribué aux plus démunis. Qu’en est-il du reste ? Ils sont amenés par de grandes entreprises comme GEBETEX et triés dans de grands entrepôts comme SOEX en Allemagne ou encore en Belgique. 320 tonnes y sont traités par semaine. De la folie me direz-vous ? C’est le cas. En moyenne un français achète 23 nouveaux vêtements par an. Une fois revendus et entassés dans ces hangars, ils attendent patiemment pour être de nouveau triés en trois catégories : ceux en parfait état, ceux aux petits défauts et les derniers avec des tâches. De plus, avec le phénomène de la fast fashion, la qualité des habits a drastiquement diminué ces dernières années. Sur l’ensemble de ce qui a été minutieusement classé par une armée de petites mains ; 3 % vont être réutilisés en France, 10 % brûlés dans le but de chauffer des maisons, 33 % recyclés pour se transformer en isolant pour maison et 54 % exportés sur le marché mondial de la seconde main. Bien souvent, la destination finale de ces grands paquebots est le port d’Accra au Ghana. 80 millions de vêtements terminent leur croisière au débarcadère, prêts à être rachetés par des commerçants puis revendus au marché... ou pas. C’est trois fois plus qu’il y a 25 ans. En même temps, la logique suit son cours : Plus de vêtements, moins de qualité et plus de quantité. Chaque semaine, le marché de Kantamanto écoule 15 millions d’habits. Avant d’aller plus loin, voici un petit récapitulatif en terme monétaire. La tonne de vêtements coûte 130€, ils sont ensuite envoyés et triés dans de grands entrepôts. La partie exportée est revendue 650€ la tonne pour finir par être rachetée 1800€ au Ghana. Ainsi, les industriels du recyclage touchent un large bénéfice dessus. Pourtant, nous parlions de don n’est-ce pas ? Ce ne sont ni plus ni moins que des tours de passe-passe bien ficelés de notre société capitaliste pour encore plus s’engraisser pendant que nous, nous avons la conscience tranquille. Mais si ces habits ne sont pas revendables en France, pourquoi le serait-il plus là-bas ? Une grande majorité ne répond pas au climat africain bien opposé à ceux de nos pays occidentaux. Ou alors, ils sont tout simplement de trop mauvaise qualité. Ainsi, les petits revendeurs sont obligés de casser les prix de leur marchandise qu’ils ont achetée 100€ le ballon au port à l’aveuglette. C’est ainsi qu’après chaque marché hebdomadaire, 40 % des vêtements partent à la poubelle ou finissent dans la nature, dans d’immenses décharges à ciel ouvert souvent déjà bien débordantes. Ces marchés d’occasion sont une excuse pour les pays riches afin de continuer à consommer impunément. Dans les décharges, les vêtements ont deux options. Soit ils sont brûlés soit ils se décomposent, lentement, laissant échapper leur polyester direction les plages et les océans. C’est l’une des causes principales de l’augmentation des microfibres dans ces derniers. Seulement 10 % de ces déchets seraient visibles tandis que le reste s’effilocherait au ralenti dans les fonds marins, procurant une nourriture toxique à ses habitants. Pour tenter de pallier à jamais ce problème, une gigantesque décharge a été construite au Ghana. Cette dernière devait fonctionner pour les 25 prochaines années. En moins de trois ans, elle était déjà pleine à craquer. Un de ces pays voisin, le Rwanda a imposé une taxe en 2016 sur les vêtements exportés. Cela a divisé l’importation par deux. Mais cela est-il réellement suffisant ? Quelles alternatives responsables existe-t-il afin d’endiguer cette consommation outrancière ainsi que de l’exportation pour la revente qui en découle ? Quelque part et un peu partout à la fois, des acteurs de l’ombre agissent afin de transformer les mentalités.
Les alternatives et les acteurs de l’ombre qui luttent pour une production et consommation éthique du vêtements.
Liz Ricketts est une militante américaine, ancienne styliste et co-fondatrice de « the Or foundation ». Son objectif est de former des stylistes au Ghana afin de transformer des pièces inutilisables en pièce unique. Ainsi, avec ses apprentis, elle écume les plages africaines où elle y trouve ses tissus.
Dans le Tarn en France, Fabrice Lodetti a créé une machine pour récupérer les fibres des vêtements afin d’en produire de tout neuf. Sa machine est capable d’en isoler chaque fil. Selon lui, ce qui reste d’un vêtement après utilisation est la qualité nec plus ultra. En effet, ce sont ceux qui ont résisté à tout, donc indéniablement le meilleur. De plus, il trie aussi ces fibres par couleurs, ce qui évite l’utilisation de teinture et par voie de conséquence la pollution de la tannerie
Dans un autre domaine, il y a Julia Faure du collectif « en mode climat » qui milite pour plus de régulation dans l’industrie du textile. Même si elle a cofondé une marque de vêtements éthiques, elle incite les personnes à acheter le moins de vêtements possible.
Beaucoup d’alternatives et d’initiatives existent pour lutter contre une consommation effrénée du prêt-à-porter. Utiliser ses habits au maximum, les réparer, acheter de la seconde main quand cela est nécessaire. Déposer soi-même les vêtements que nous voulons donner directement à des Associations comme la Croix-Rouge. Mais, pour aller au fond du problème, il faut s’interroger sur les raisons qui nous poussent à acheter de manière immodérée. Quelle partie de notre cerveau est sollicitée dans le sentiment de satisfaction que nous procure la reconnaissance sociale ? Le besoin irrésistible de soigner notre apparence est souvent gagnant et cela au préjudice de notre santé intérieure ainsi que de la bienveillance des uns envers les autres. L’apparence nous met en situation toxique de compétitivité et de ce fait nous enferme dans une boucle d’individualisme. Souvent au détriment du vivant. La pollution générée, les plages polluées, l’énergie utilisée sont autant de problématiques qui ne pourront être résolues que le jour où nos schémas mentaux et nos priorités auront changé de direction. D’ici-là, prenons le temps de réfléchir à deux fois avant de jeter quelque chose et favorisons les circuits courts pour les échanges de biens matériels. Liza Tourman.