Matthieu et Elaura, une histoire de roulotte qui nous invite à repenser notre rapport au temps
Nos sociétés modernes façonnent le rythme de nos vies en une danse aussi effrénée que la valse à mille temps de Jacques Brel. Le temps se dérobe sous nos pieds, nous faisant perdre le fil de notre vie et de ce qui nous est essentiel. L’articulation entre les dimensions individuelles et sociétales de nos vies conditionnent notre rapport à ce dernier. Nous interrogeren conséquencepermet donc de poser la question du sens que l’on veut donner à notre vie. Il est constitutif de notre rapport au monde. Comment retrouver son temps à soi ? Comment le libérer pour vivre autrement ? Ralentir pour observer, ressentir et se réajuster à la nature afin d’avancer à sa cadence et non pas à celle de nos machines. Comment décélérer lapour se lancer à la poursuite de ses rêves ? Nous partons à la rencontre de Matthieu et d’Elaura qui ont pris la décision de dire stop à la course forcenée qui nous ait imposée. Ils ont pendant un an et demi fait des pieds et des mains pour construire leur roulotte en utilisant des matériaux respectueux de l’environnement. Leur songe ? Traverser une partie de la France pour trouver un terrain, s’y installer afin de construire une micro ferme, travailler l’osier et faire des balades botaniques avec leurs ânes. Accompagnés de leurs deux chevaux, ils avancent au rythme du vivant. Elaura, 27 ans, a grandi en Seine et Marne. Matthieu lui, a 30 ans et est originaire de la Drôme, du côté des baronnies provençales. Chacun a respectivement suivi des études dans l’environnement (Elaura) et dans l’art puis dans le paysagisme (Matthieu). Leurs chemins se sont entrecroisés lors de leur formation BTS en protection et gestion de la nature. Ensemble, ils ont décidé de partir pendant deux ans en woofing avec pour objectif de découvrir le milieu alternatif dans l’agriculture. Tout a commencé, il y a maintenant six ans après avoir entendu l’histoire d’un homme qui se baladait en France avec une roulotte, ses deux ânes et qui vivait de son métier de vannier. Il était une fois… tout une vie à construire... Elaura et Matthieu se cherchaient encore à cette époque. La chose dont ils étaient sûrs, est qu’ils désiraient ardemment se servir de leurs mains. De fil en aiguille et inspirés par le récit de cet homme, ils ont pensé à l’éventualité d’une vie nomade ainsi que de travailler avec les animaux. Le rêve commence à prendre forme ici, au gré des rencontres et de leurs voyages. Celle de Juliette et d’Antoine sera décisive pour le grand saut vers les étoiles.
« A ce moment-là on a rencontré des vanniers roulottiers et on a appris la vannerie. C’est eux qui nous ont inspirés avec leur mode de vie. Entre temps, on s’est aussi formés au maraîchage. Ça a duré quatre ou cinq ans. Après Elaura s’est installée en micro entreprise en vannerie, elle a fait les marchés hebdomadaires et les foires locales pendant trois ans et demi. Pendant cette dernière année et demie on a coconstruit la roulotte. » Nous confie Matthieu.
Grâce à eux, ils ont compris que ce mode de vie était réellement envisageable et que mieux encore, ce n’était pas si compliqué que ça. C’était beau et accessible. Juliette et Antoine, les ont encouragés. C’est ainsi qu’ils en sont venus à construire leur roulotte afin de partir avec leurs deux chevaux et leurs deux ânes. Leur souhait était de quitter la Bourgogne pour aller en direction des Pyrénées. « Faire un trajet en aller simple à durée indéterminée et destination indéterminée. Puis de prendre le temps. On ne voulait pas juste aller d’un point A à un point B. On désirait aussi se poser, aller à la rencontre des gens, faire des choses. »Malheureusement se réapproprier le temps n’évite pas ses aléas. Il y a peu, leur cheval de confiance, celui d’Elaura, est mort de la maladie de Lyme. Celui de Matthieu, Camel étant trop impulsif, ils l’ont confié à l’ami d’un ami pour qu’il travaille avec lui jusqu’à Octobre prochain. L’avenir dira la suite. Ainsi, ils vivent pour le moment toujours dans leur maison sur roues dans le bourgonnais. Ils ont décidé, il n’y pas plus tard qu’une semaine de laisser la roulotte en stand-by et de poursuivre le même itinéraire à pied et avec des ânes.
« Je viens de construire des bâts et une sacoche. On va chercher nos ânes mercredi puis on prend la route dans la foulée. On ne se laisse pas abattre. », nous dit Matthieu sourire aux lèvres.
Rétrospective sur un an et demi de chantier.
« je suis absolument contre l’usage unique. J’aime quand un matériau peut avoir plusieurs usages différents. J’aime bien tout valoriser. Quand je travaille un matériau je garde les copeaux, les chutes et je fabrique d’autres choses avec. Je n’aime pas les matériaux synthétiques car je ne sais pas comment ils sont fabriqués, je suis très attaché au coût sur l’environnement de la production d’un matériau. Je déteste le plastique. C’est vraiment l’idée de revaloriser, sublimer la matière. »
Leur habitat nomade estconstruit à partir d’un châssis en acier qu’ils ont dégoté sur Le bon coin pour 2000 €. C’est un vieux chariot agricole allemand des années 90 qui a été retapé en calèche western par un monsieur âgé, habitant le Jura. Elle fait 4 mètres sur 1m80 de large. N’étant pas branché « Il était une fois dans l’ouest » et désirant une structure en dur et isolée, Matthieu a, après acquisition de ce dernier en novembre 2020,conçu tous les plans de la future roulotte.
« J’ai fait plein de dessins. Donc à partir de là, nous avions plusieurs contraintes. la première étant les dimensions. Il ne fallait pas que l’on dépasse 4,30m de haut, nous, on s’est dit 3,30m puis pas plus de 2,50m de large et 6m de long. On voulait surtout être capables de passer sur toutes les petites routes et ne pas avoir un trop gros convoi. La deuxième, c’est le poids car il ne fallait pas que l’on dépasse 1,5 tonnes parce que sinon après les animaux ne peuvent plus trop porter. Et la troisième, c’était le choix des matériaux. On ne voulait absolument pas de matière plastique mais tout en biodégradable. »
Le chantier se trouvant près d’une scierie, ils ont pu récupérer beaucoup de bois déclassé dont l’entreprise ne savait plus quoi faire. Une manière de réutiliser la matière et non de la jeter. Tout le monde y trouvait son compte. L’ossature est en peuplier grisart. C’est un arbre français qui a mauvaise réputation en charpente car il travaille beaucoup. Comme nous l’explique Matthieu. « Ce n’est pas un bois inerte, c’est à dire que s’il y a de l’humidité et qu’il y a du poids dessus, il va flancher. Par contre, il ne casse pas et ne sent pas, c’est un bois assez dense malgré qu’il soit léger. Aujourd’hui le peuplier est en majeur partie utilisé pour faire des cagettes. J’aimais bien l’idée de valoriser un bois qui, en temps normal, ne l’est plus alors qu’avant les anciens l’utilisaient beaucoup. ». L’objectif qu’ils s’étaient fixé, était de trouver les essences de bois les plus légères que l’on pouvait dénicher en France. Ainsi le noisetier, le bouleau, le peuplier et le sapin ont été leurs plus fidèles alliés. Le parement a été fait en pin. Ils ont par la suite lambrifié toute la partie intérieure et une partie extérieure. Dans la première, ils ont souhaité y ajouter du tressage en référence à leurs métiers de vanniers. Pour la toiture, c’est un artisan breton qu’il leur a confectionné une bâche sur mesure en matériaux recyclés moitié coton moitié acrylique. En ce qui concerne l’isolation, il ont utilisé du feutre de chanvre qui évite la micropoussière. Le plancher est lui aussi en peuplier.
« Après tout le mobilier, je l’ai conçu et construit en noisetier, je suis allé couper du noisetier dans les forêts qu’il y avait autour de chez moi. Je les ai planés, écorchés et j’ai fait tout mon mobilier en bois rond et en osier tressé. Avec les table, étagères, bureau, bibliothèques, etc. on a en pour 60kgs ce qui n’est vraiment pas beaucoup. On a beaucoup gagné en poids sur le choix des matériaux. L’ensemble de ce que l’on a rajouté sur le châssis faisait 500kgs. Et la roulotte à vide faisait 1,280 tonnes. A l’intérieur, nous avons tout sauf les toilettes, et la salle de bain, c’est une trappe que l’on relève, il y a un bac à douche au fond et on suspend un rideau de douche. On n’a pas à proprement parler de salle de bain car c’est très petit à l’intérieur. On a un lit peigne que l’on peut déplier pour dormir à deux dedans et Elaura a un lit superposé en hauteur, donc on a un double sommier croisé. On a ensuite un bureau, une bibliothèque, un coffre banquette, une petite cuisine avec plein de plateaux, une table et un support pour un poêle. »
Matthieu et Elaura ont tenu un carnet de comptes jusqu’à environ 5000€ mais il estime le fruit de leur création à 7000€. En leur demandant ce que ça leur a apporté psychologiquement de construire leur maison eux-mêmes, ils nous parlent d’immense satisfaction, d’excitation et de beaucoup d’enthousiasme. De plus, n’étant ni menuisier ni charpentier de formation, ils ont tout appris sur le tas car ils ont eu la chance d’avoir été entourés par des gens qui possédaient ces compétences et désiraient leur transmettre et de coconstruire avec eux. Malgré des moments plus sportifs que d’autres dans la l’organisation de chantier collectif, il en ressort une expérience humaine et créative dont ils en sortent grandis avec cette idée profondément ancrée que l’on vit mieux en n’ayant pas grand-chose. Et si l’on faisait un pas de côté, respirait un grand coup afin d’ouvrir les yeux sur les merveilles qui nous entourent et en profiter pour diminuer drastiquement notre mode de consommation ? Quand on discute avec Matthieu de l’urgence à résoudre pour ralentir la catastrophe écologique vers laquelle nous fonçons tête baissée, nous faisons le même constat : celui de se reconnecter à la nature, notre environnement naturel. «Se dé-moderniser. J’ai envie de dire se « déshumaniser » mais en fait, c’est plutôt s’humaniser parce que je trouve que notre société française et même les sociétés au niveau européen sont complètement déconnectées d’avec leur environnement. On a rompu avec notre condition d’humain, d’animal en fait. J’ai l’impression que l’on s’est pris pour des dieux et je pense que l’on ne s’y est pas pris de la bonne façon. Et je crois que l’usage de l’énergie, c’est vraiment le gros point à aborder et à changer. Ce qui revient aussi à la consommation. Consommer moins, ce serait vraiment pour moi la solution. Voir dans certains cas arrêter de consommer. Arrêter de consommer de l’énergie à outrance, des produits de luxe, les technologies modernes parce qu’on peut sûrement faire autrement, voire mieux avec moins. Vivre avec la nature, c’est se rendre compte que l’on a besoin d’eau, d’air, de nourriture, d’un abri et d’humain avec qui partager tout ça ».
Construire sa roulotte est, au-delà d’un savoir-faire, une vraie démarche philosophique et éthique. Un choix de vie pour lequel Matthieu et Elaura ont opté afin de vivre en harmonie avec la nature, de prendre ce qu’elle leur offre mais s’en jamais lui en demander plus. Encore plus loin, le fait de vivre dans une maison sur roue délivre un message sociétal qui est de ralentir, décélérer la vitesse à laquelle le monde vit.
« Même dans ses déplacements, prendre le temps de marcher, de parcourir les distances à pied. C’est ce que j’explique aux gens qui me demandent pourquoi je fais ça : se déplacer en marchant pour prendre le temps de voir les choses, et voir des choses que je n’aurai jamais eu le temps de voir en bagnole, en moto ou en avion. Et que l’on découvre beaucoup plus de choses enrichissantes quand la vie avance au rythme du pas »
Si la peur de franchir le cap d’une vie plus résiliente et autonome est globalement véhiculée par la peur de manquer d’argent, il apparaît comme une évidence qu’il faut apprendre à déconstruire notre besoin de consommer toujours plus afin de se rendre compte que l’on peut vivre épanouie avec peu de choses. Petit à petit, arrêter de s’acheter des vêtements tous les mois, de faire tous nos trajets en voiture, diminuer les activités dépensières. Même si l’on ne part pas tous avec une vision du monde similaire, l’urgence écologique ainsi que des sociétés où les individus sont de plus en plus seuls et renfermés sur eux-mêmes devraient tous nous mettre en alerte sur le fait de repenser notre rapport au temps, à nous et au vivant. Comme nous le dit Matthieu à la fin de notre rencontre : « Je dirais aussi qu’il faut suivre ses rêves, ne surtout pas les mettre de côté, il faut les poursuivre. Passer sa vie à réaliser ses rêves, c’est vraiment ce qui compte. C’est comme ça que l’on arrive à changer et se réaliser, c’est quelque chose d’hyper épanouissant et ça ne donne qu’envie de continuer. Et une dernière chose, c’est d’être juste et honnête avec soi-même, dans ses valeurs, sa morale, son éthique … être juste et de ne pas forcément faire de concessions. »