Géant du e-commerce, créé en 1994 et dirigé par l’Américain Jeff Bezos, Amazon connaît une expansion sans précédent depuis la crise de la Covid-19. Avec un catalogue de 200 millions d’articles, elle a pour devise de permettre à ses clients d’acheter « n’importe quoi, n’importe où, n’importe quand ». Sa stratégie vise à offrir à sa clientèle une sensation de totale autonomie en répondant à ses désirs de consommation immédiats. Une adresse, quelques clics, emballé, c’est pesé ! Son monopole en tant qu’intermédiaire de tout ce qui se vend sur la planète est possible grâce à la politique capitaliste du libre-échange dérégulé, créant ainsi une rupture avec les relations sociales traditionnelles du commerce de proximité. A l’instar de son extension, les critiques envers l’entreprise vont elles aussi bon train. Entre des conditions de travail plus que douteuses, des scandales comme celui des bouteilles d’eau pour uriner, son impact sur leur climat, son empreinte carbone avec sa livraison en 24 heures et la fraude fiscale… ses détracteurs ne sont pas en manque de sujets à explorer. Le dernier esclandre date d’il y a quelques jours. Révélé par la chaine britannique ITV, il s’agit de la destruction de millions d’invendus dans un des entrepôts du Royaume-Uni.
Scandale outre manche
Epinglé une première fois en 2018 par l’émission Capital qui révélait qu’Amazon France détruisait plus de 3 millions de produits invendus, la société s’était retrouvée confrontée à une montée de colère des consommateurs. Ces derniers avaient lancé une pétition pour demander l’interdiction de cette pratique de gaspillage. Face aux 124 000 signatures récoltées, Jeff Bezos avait réagi avec la mise en place d’un programme de dons destinés aux vendeurs tiers qui stockent leurs produits dans des entrepôts, laissant malgré tout la possibilité aux revendeurs de refuser ce système. On aurait pu croire à une avancée. Hélas !, trois ans plus tard, un nouveau scandale nous vient d’Outre-Manche.
Attention, Zone de destruction massive.
Une aire de destruction, voilà les images que révèlent la caméra cachée. Obtenues en exclusivité par ITV, ces dernières lèvent le rideau sur les coulisses de cet entrepôt d’Amazon du Royaume-Uni où près de 130 000 articles, souvent neufs et encore emballés, sont détruits chaque semaine sans aucune distinction : Ordinateurs portables, drones, téléviseurs, livres, portables, jouets et même des masques. Alors que nous sommes encore sous la gouverne de la Covid-19. Les journalistes ont suivi les péripéties de ces items censés être acheminés en zone de recyclage. Quelle ne fut pas leur surprise face à cette édifiante destruction de masse. Comment en pleine époque de remise de question sur notre mode de consommation, sur nos utilisations de produits à usage unique et en pleine expansion de la politique du zéro déchet, une telle ignominie est-elle encore possible ? Oscillant dans un monde truffé de contradictions, auquel participe bien sûr Amazon, l’explication de ce phénomène s’explique relativement facilement. L’entreprise stocke dans ses entrepôts des produits de vendeurs tiers comme nous l’avons évoqué plus haut. Cette place à un coût et non des moindres. A la manière du téléphone cassé qu’il est souvent moins cher de remplacer que de réparer, il est généralement plus rentable pour ces vendeurs de jeter leurs invendus afin d’éviter les frais de retour. Pour appuyer ce chiffre astronomique, une des images met en scène un écran qui dévoile un chiffre de 124 332 objets à détruire contre 27 213 articles concédés à des associations caritatives. Si l’on fait un calcul rapide en prenant en compte les 24 centres similaires appartenant à Amazon au Royaume-Uni, des millions d’articles dans le monde pourraient relever de la destruction massive exercée par Amazon et sa politique de satisfaction du client par tous les moyens. Ainsi, près de 300 000 objets neufs ont été jetés en trois mois dans l’entrepôt de Chalon-sur-Saône (Saône et Loire), le plus petit de ceux établis en France. Au niveau national, on monte à 3,2 millions d’objets manufacturés neufs jetés en 2018, selon les estimations d’élus CGT.
Surfant sur la logique de vendre toujours plus à des prix défiant toute compétitivité, Amazon explose sa surproduction, faisant d’elle, une des entreprises causant les pires dégâts environnementaux. Ils sont indirects et cachés aux yeux du monde, et,par là-même, d’autant plus dangereux et dévastateurs. Pour ne citer qu’un exemple, la filière textile a perdu en dix ans 10 % de sa valeur alors que la production a doublé. Pour cause ! La surproduction permet aux entreprises de toujours rentrer dans leurs frais même si cela doit aller à l’encontre de l’éthique et de la préservation de notre monde et de son patrimoine.
Le monde de nos désirs est-il bien celui que nous voulons ?
Rien n’arrête la croissance d’Amazon. Alors qu’il fait déjà circuler 1,9 milliards de produits non alimentaires sur notre territoire, le titan du commerce en ligne compte en vendre au moins un milliard de plus d’ici 2021 en doublant sa surface de stockage et de distribution. Cela n’empêche pas qu’en France de nombreuses associations et des syndicats comme Attac, Alternativa, Unis pour le climat, XR ainsi que des citoyens et des salariés d’Amazon, se réunissent afin de monter des actions contre le géant de Seattle. Une réflexion de grande envergure sur la thématique de « Dans quel monde nous voulons vivre ? », s’impose. Pour cela, il faut aller chercher ce qui se cache par-delà nos écrans de fumée mais aussi derrière nos relations déshumanisées ou, assis seul face à notre écran, nos désirs grandissent au fil de nos clics. Il en va de même sur la nécessité de ralentir le rythme de notre consommation et de mettre en avant les commerces de proximité ; retisser du lien avec nos produits locaux et ceux qui s’adonnent à faire vivre l’économie de leur territoire. Il est important de se souvenir que cette idée selon laquelle dans les petits commerces l’argent circule entre producteurs et consommateurs disparaît dès lors que nous mettons de l’argent chez Amazon, sortant celui-ci du circuit. De plus, la crise sanitaire, nous empêchant de nous déplacer, nous rappelle à quel point le commerce de proximité est important à protéger. Liza Tourman.