Dans les années 1960, la population mondiale passe de 3 à 6 milliards d’habitants. Afin de faire face à cette croissance exponentielle, les états décident de mener des recherches agronomiques sur les céréales considérées comme étant la base de l’alimentation humaine (blé, orge, maïs etc.). C’est ainsi que naît « l’agriculture intensive ». Erigée sur le principe de la monoculture, elle a pour objectif d’accroître le rendement agricole par le biais de nouveaux moyens de production. Par essence opposée à l’agriculture biologique, dont le postulat est de produire en travaillant avec les écosystèmes, l’agriculture intensive a recours à de nombreux intrants comme les engrais ou les pesticides, ayant des conséquences destructrices sur l’environnement. Ainsi, si la nature a un système de fonctionnement complexe dont ses propres repoussants, comme l’œillet d’Inde, efficace pour lutter contre les pucerons ou encore les capucines qui protègent des mildious, un champignon parasite, l’agriculture intensive, elle, possède ses néonicotinoïdes. Commercialisés en France dans les années 1990, ils sont les pesticides les plus célèbres.
Selon plusieurs études, les néonicotinoïdes persistants, systémiques et neurotoxiques, sont responsables du déclin de la population des insectes mais aussi des oiseaux qui ingèrent les graines enrobées de ces produits. En effet, malgré les recommandations des industriels d’enfouir ces dernières dans le sol, il est impossible de ne pas en faire tomber des sacs ou encore de certifier l’efficacité à 100 % des semoirs automatiques. Ainsi, ces apparents petits bonbons roses éparpillés sur les sols sont des poisons attractifs pour les oiseaux. Et même s’ils ne sont pas directement mortels, il ne faut pas plus de dix graines pour développer des effets sublétaux1. Des travaux récents, dont celui de l’office national de la chasse et de la faune sauvage, ont mis en exergue que la commercialisation massive de l’imidaclopride, concorde avec le déclin des oiseaux en zones rurales. Dans cette étude publiée en 2018, plusieurs scientifiques ont ramassé 239 carcasses d’oiseaux dans des zones de cultures céréalières intensives. Plus de 100 cas ont été directement analysés comme ayant un lien direct avec ce pesticide et la mortalité par empoisonnement touchait 70 % des cas. Dans la même lignée, le Museum d’Histoire Naturelle a demandé au nouvel Office français de la biodiversité de comparer la carte des achats de pesticides en France et de la mettre en corrélation avec le nombre d’oiseaux morts pour établir quels produits chimiques pouvaient être incriminés.
Où est donc passé le chant du coucou ou le gazouillis doux et flûté de nos hirondelles ?
Un monde silencieux, c’est un peu comme un monde sans âme. Pourtant c’est ce qui se profile en Europe ces dernières décennies. En effet, l’Europe a en 30 ans perdu plus de 421 millions d’oiseaux : Le chardonneret élégant, le coucou, le milan royal, la perdrix grise … La liste est longue, la situation, alarmante. 275 espèces sont touchées dont 32 % des oiseaux nicheurs comme le moineau friquet qui a quasiment disparu. On ne répétera jamais assez, c’est une véritable hécatombe. Deux facteurs engendrés par l’activité humaine en portent la responsabilité : Le réchauffement climatique qui désoriente les oiseaux pendant leur migration et les pesticides utilisés en masse pour lutter contre les nuisibles (les insectes, les rats, les mulots ou encore les campagnols). Pourtant, des prédateurs comme le renard roux sont des moyens efficaces pour endiguer la propagation des rongeurs. Malheureusement, étant eux aussi considérés comme nuisibles, ils sont chassés et remplacés par des produits phytosanitaires. Pour citer quelques exemples, utilisé pour se débarrasser des rongeurs, le bromadiolone tue par effet ricochet les rapaces et les milans royaux qui mangent les cadavres contaminés. Ou encore, les oiseaux associés à des troupeaux d’animaux comme la bergeronnette ou l’étourneau qui se nourrissent des insectes empoisonnés par des produits vétérinaires comme les vermifuges. Cependant les néonicotinoïdes restent les produits criminels les plus redoutables contre le vivant. Malgré leur interdiction en 2018, les coopératives agricoles achètent 50 mille tonnes de produits similaires pour traiter le blé, le seigle, l’orge, les betteraves. Considérés d’abord comme « tueurs d’abeilles », ils déciment aussi les oiseaux insectivores ; car, qu’ils mangent des graines enrobés de produits chimiques ou alimentent leur progéniture avec des insectes, ils sont continuellement exposés à ces substances, du fait que ces derniers ont été infectés. Contrairement aux affirmations des industriels proclamant que les oiseaux arrêteront d’eux-mêmes de manger les graines par répulsion digestive ; il faut savoir que la nocivité létale des pesticides s’aggrave proportionnellement avec la longueur et la répétition des expositions à ces derniers. Ces dires sont donc mensongers. Les conséquences sont désastreuses : troubles neurologiques, problèmes d’immunités ou perturbateurs endocriniens se transmettant de génération en génération et provoquant un affaiblissement général des espèces. Pour aller encore plus loin, cette ingestion est responsable de la destruction de leurs organes comme le foie, l’encéphale ; elle entraîne notamment des lésions au niveau du système reproducteur ou encore le dérèglement des hormones thyroïdiennes indispensables aux vols des oiseaux. Le plus choquant, c’est qu’aujourd’hui les sols sont traités en prévention et non plus en fonction du nombre de ravageurs, transformant par voie de conséquence des millions d’hectares en champs d’insecticides et en cimetières à ciel ouvert.
Mais que fait la justice ?
La France est la première puissance agricole européenne devant l’Allemagne et l’Italie et compte le rester. Il faut en effet prendre en compte le poids de la FNSEA et plus encore celui des lobbying industriels comme BAYER, NUFARM ou encore FERTICHEM qui ont un impact décisionnel sur les politiques agricoles de grande envergure. Néanmoins, les néonicotinoïdes ont été interdits en septembre 2018. Le problème, c’est que même après 20 ans, les effets dûs à leur dispersion persistent pendant plusieurs années encore. Le 21 Mai 2021, la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux) soutenue par l’expertise juridique de “l’Association Intérêt à agir” et de Me Sébastien Mabile du cabinet de Seattle Avocats, assigne devant le tribunal judiciaire de Lyon les principaux producteurs, importateurs et distributeurs d’imidaclopride en France afin de reconnaître leur responsabilité dans le déclin des populations d’oiseaux des milieux agricoles. Ils demandent la réparation du préjudice écologique ainsi qu’une expertise pour mesurer l’étendue des dommages. Dans la foulée, la LPO réclame l’arrêt immédiat de toute commercialisation de produits contenants de l’imidaclopride, car même si son utilisation a été interdite par la loi du 8 août 2016, une dérogation existe grâce à celle du 14 décembre 2020 « relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières ». Cette forme de bipolarité rappelle la décision du Parlement Européen d’adopter en 2009 l’interdiction des produits cancérigènes et mutagènes reprotoxiques2 tout en actant que ceux qui étaient sur le marché y resteraient jusqu’à l’expiration de la licence, exposant par là-même 500 millions de personnes à ces substances. La France n’est pas en reste, n’ayant pas inscrit l ’interdiction du glyphosate dans la loi. Pire, elle a donné trois ans aux agriculteurs pour se retourner, quand bien même leurs effets mortels ont été prouvés.
Ainsi, contre les industriels et l’agriculture intensive, il est important de ne rien lâcher pour préserver la biodiversité, patrimoine commun aux êtres humains. D’autant plus que, comme le montre une récente étude dijonnaise, manger bio est meilleur pour les oiseaux. In fine, il semble évident qu’après le déclin massif de ces derniers ainsi que des insectes, l’humain sera le prochain à subir les dommages collatéraux d’une agriculture qui n’a que le Rendement pour moteur.