Quand Atropia se sépara de Topia, elle n’était qu’un simple cailloux flottant à la dérive dans le vaste univers. Ce n’est que bien plus tard, sous le coup d’une étrange alchimie, que des âmes déchues surgirent du tréfonds de ses cratères. Des filaments leurs striaient les yeux, leur obstruant la vue. Leur corps fait d’un carrelage froid et noir, les inhibaient de toute sensation. Sur cette planète terrifiante, le vide régnait en maître. Ces âmes erraient de long en large sur ce bout de roche dénué de vie et de couleurs. Cesombresse dévisageaient, leurs regards remplis d’abîmes. Jusqu’au jour où l’une d’entre elles se positionna comme cheffe. Très vite, on lui prêta le nom de Crépuscule… C’est sous ses instructions et sa colère que la cité d’Atropia naquît.
- Woaw !
Lysse se réveille par terre près de son lit. Il transpire abondamment. Sa couette est coincée entre ses jambes. Il sert son oreiller avec ses deux bras comme s’il étouffait quelqu’un. Petit à petit, il reprend ses esprits, le cerveau encore embrumé par sa nuit houleuse. Appuyé sur un bras, il se frotte la tête de sa main libre, plisse les yeux avec l’espoir de se remémorer tout ce qu’il s’est passé. Il se souvient d’une sensation de terreur extrême. Jamais il n’avait ressenti quelque chose d’aussi fort. Allons Lysse, fais un effort, que s’est-il passé ? Il fronce les sourcils… Une grotte sombre, c’est comme si j’étais en apesanteur… Ah… et ces bras qui plongent dans mon nombril… Quelles étaient ces ombres terrifiantes ? Et quiest cette petite boule volante qui revient à chaque fois ?
- Maouuu Lysse se baisse pour caresser le squelette de chat qui se frotte à sa jambe. - Qui est cet être dont je n’arrête pas de rêver Malou ? Malou le regarde de ses orbites vides. - Si seulement Edmund était encore là, je suis persuadé qu’il aurait la réponse. Où es-tu passé ? dit-il en s’adressant à une photographie posée sur sa table de chevet.
Elle représente un vieil Atran au regard espiègle. On devine Lysse encore enfant sur ses épaules. Il s'assoit sur son lit et se prend la tête entre les mains. Je ne comprends pas, d’habitude, c’est un sentiment de bien-être que je ressens quand je rêve d’eux. Il s’est passé quelque chose, c’est sûr. Il se lève d’un bond et se dirige vers la pièce à psyché constituée exclusivement de miroirs. Atropia est habitée par des corps glacials modelés de carrelages et où il est obligatoire de passer chaque jour par cette salle. Lysse se positionne au centre, bras levés. Un à un les miroirs se fissurent et de long bras viennent ouvrir chacun de ses carrelages.
- Cherchez autant que vous voulez, il n’y a rien. Les bras le retournent brutalement avant de poursuivre leur exploration. L’un d’eux finit par extirper une petite boulette qu’il pointe devant la fente qui lui sert de nez. - Oui, et alors ? le souvenir d’Edmund m’a rendu triste. Mais ça vous devez le savoir, comme aussi l’endroit où il se trouve ? Ni une ni deux, la main métallique lui donne une violente claque, resserre sa paume sur sa trouvaille. Puis, d’un coup d’un seul tous les bras disparaissent. La porte s’ouvre. Lysse sort, le cœur empli de colère. - Ils peuvent me priver de mes émotions mais ils ne me voleront pas ma mémoire, se dit-il à lui-même.
Il ferme les yeux et se rappelle son grand-père Edmund, disparu depuis maintenant cinq ans. Il était différent des autres Atrans. C’est sûrement pour cette raison qu’il était mis à l’écart. Quand ils se baladaient tous les deux, les ombres chuchotaient à leur passage. Edmund, ça le faisait sourire. Ce qui l’a le plus marqué, c'est que ses filaments étaient presque toujours invisibles. Lysse pense que cela a un lien avec ses rêves et ces petits êtres verts. Quand il lui en avait parlé, celui-ci lui avait répondu :
- Atropia n’est pas si mauvaise Lysse. Seulement elle est incomplète. Tu verras bientôt les choses seront différentes. Puis un jour, Edmund se volatilisa au coin d’une rue. Et jamais les choses ne devinrent différentes. Il se masse la légère excroissance située sous son œil gauche, se lève d’un coup d’un seul et sort de chez lui.