En swahili, le pique-boeuf rouge se dit Askari Wa Kifaru, qui signifie « gardien des rhinocéros ».
Nous nous distinguons des autres êtres vivants par notre capacité à inventer des mythes. Celui du « consumérisme », comme l’appelle Yuval Noah Harari dans son livre Sapiens, nous invite à penser qu’il suffit d’acheter quelque chose pour résoudre ses problèmes. Outre les aspects neuroscientifiques, cet attrait humain va de pair avec le culte de l’argent. En Chine et au Vietnam est né celui de la corne de rhinocéros. La croyance voudrait que la kératine dont est faite cette dernière possède des vertus thérapeutiques contre le cancer ainsi que des qualités aphrodisiaques. Cette légende s’est consolidée il y a une dizaine d’années lorsqu’une information parut, expliquant qu’un officiel du gouvernement vietnamien atteint d’un cancer serait rentré en rémission après avoir ingéré de la corne de rhinocéros broyée. Pourtant des scientifiques ont démontré que l’excroissance de ce mammifère n’avait aucune propriété thérapeutique. Hélas ! nous ne le savons que trop bien, les croyances ont la vie dure. Ajouté à cela qu’elle représente un signe de richesse certain, il n’est plus étonnant qu’elle soit si convoitée. Elle se vendrait jusqu’à 5800 euros le kilo au marché noir en Afrique du Sud et jusqu’à cinq à dix fois plus élevés en Asie. Bien sûr, en toute illégalité. Aujourd’hui il ne resterait que 29 500 rhinocéros dont 70 % en Afrique.
Une histoire de braconnage. Nos ancêtres chassaient pour se nourrir, utilisaient la peau de l’animal mort pour se confectionner des habits chauds et taillaient leurs os pour se faire des outils. Rien n’était laissé-pour-compte. Dans certaines tribus, la croyance veut que l’animal possède une âme comme tous les êtres vivants. Avant une chasse, les iroquoiens et algonquiens suivent minutieusement des rituels ciblés. Ils prient l’esprit de l’animal et lui offrent du tabac en lui demandant la permission de le tuer pour sustenter leur famille. Aujourd’hui, on braconne des rhinocéros pour leur arracher sauvagement leurs cornes afin d’assouvir des croyances anthropocentriques et dénuées d’humanité. Le rhinocéros est un survivant de l’ère des mammifères géants. Il tire son nom de deux mots grecs, rhis et kéras, signifiant respectivement « nez » et « corne ». Il est aujourd’hui en voie de disparation. Ces dix dernières années, leur population a chuté de 70 % à cause du braconnage sauvage exercé à son encontre. C’est ce que déplore une étuderécente menée par South African National Park, l’organisation qui gère le célèbre parc Kruger ainsi que 18 autres en Afrique du sud. Estimés sur place à 10 000 habitants en 2010, ils sont aujourd’hui moins de 4000. Ces derniers représentent environs 30 % de la population totale des rhinocéros sauvages au monde, estimée à 18 000 individus. Et pourtant aussi sauvages qu’ils soient, seul l’attribut reste car les rhinocéros sont parqués afin de pouvoir (sur)vivre. 6200 autres sont les biens de propriétaires privés qui les utilisent pour des safaris, des chasses légales ou encore pour la production de cornes. Car même si la vente de cornes est interdite, il existe en Afrique du sud des permis qui autorisent de les couper afin de les mettre en sécurité en attendant une légalisation de cette dernière. Cynique dites-vous ? Cette interdiction a été prononcée en 1977 par les pays adhérant à la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites). De cette dernière, les trafiquants ont exploité la faille : celle de l’exportation de la corne de rhinocéros blanc abattu avec un permis de chasse. Certains appelleraient ça une honte, eux, le nomme un trophée. De plus, cette autorisation a incité des trafiquants vietnamiens à s’enregistrer auprès d’organisations de chasseurs afin de les revendre par la suite au marché noir. L’Afrique du sud a durci ses règles en limitant, entre autre, la prise de rhinocéros à un par chasseur et par an mais aussi en refusant le permis aux chasseurs vietnamiens. En sus, cette interdiction internationale contenait une autre faille : elle n’était valide que pour le commerce entre pays. Ainsi, elle restait légale au cœur même de l’Afrique du Sud. Un moratoire en 2009 prononcé par le ministre de l’environnement et du tourisme visait cette autorisation afin de « freiner la hausse du commerce illégal de corne de rhinocéros » et « tenter de contenir le braconnage ». Jusqu’en 2016, plusieurs tentatives ont eu lieu pour tenter de lever cette interdiction mais en vain. Est-ce une chance ou un malheur ? L’histoire nous l’a montré ; lever une interdiction sans mesure d’encadrement a amené à des catastrophes. Comme la suspension de celle concernant la vente d’ivoire d’éléphant en 2007. Mais a contrario, interdire l’appât du gain ne fait qu’accroitre l’existence de marchés noirs et de leurs méthodes barbares pour assouvir l’avidité des plus vénales. Alors serait-ce le serpent qui se mord la queue ? Quelles perspectives existent-ils afin de protéger ces énormes mammifères malvoyants à quatre pattes ? Une solution au-delà de l’intervention de l’homme. Des technologies de surveillance sont utilisées dans les parcs afin d’endiguer le braconnage. Selon SANparks, il aurait,grâce à ces méthodes, reculé de 21,6 % entre 2018 et 2019. Les parcs privés, eux, ont choisi la coupe de corne qui est excessivement onéreuse. Qui plus est que cette dernière repousse au bout de quelques années… C’est donc une technique financièrement non abordable pour la plupart des parcs. Récemment, une étude beaucoup plus étonnante a démontré que l’oiseau pique-boeuf présent sur le dos des rhinocéros augmenterait ses chances de survie. Explication. Ce petit oiseau est un vrai radar et qui plus est, un stratège aguerri. En effet, cet insectivore s’agrippe à l’aide de ses griffes aux mammifères sauvages tels les rhinocéros afin de se nourrir des parasites qui y ont élu domicile, notamment la tique. En effet, les pique-boeufs raffolent du sang ; ils peuvent ingérer en une journée jusqu’à 100 tiques gonflées d’hémoglobine. Si ces derniers trouvent sur le rhinocéros de quoi s’alimenter, lui en est débarrassé …. Mais pas que. Des chercheurs ont démontré qu’ils le préserveraient des braconniers. Si le rhinocéros n’a pas une bonne vue, le pique bœuf avec ses yeux perçants, l’avertit du danger en faisant du bruit et en sifflant. C’est ce que les scientifiques dénomment le rapport mutualiste. L’expérience des chercheurs Roan Plotz et Wayne Linklater C’est en observant ces deux animaux dans la réserve d’Hluhluwe-Umfolozi située en Afrique du sud que Roan Plotz et Wayne Linklater ont constaté que les mammifères portant ces oiseaux sur leur dos, détectaient et évitaient les présences humaines beaucoup plus facilement que leurs semblables solitaires. Comme indiqué supra, si un rhinocéros a une ouïeet un odorat redoutables, il est doté d’une piètre vue et peut se faire approcher à moins de 5 mètres s’il est mal positionné par rapport au vent et qu’il ne peut ainsi pas détecter une présence humaine. Roan Plotz a suivi pendant 27 mois deux groupes de rhinocéros dans la réserve sud-africaine. Le premier groupe portait des émetteurs radios permettant de les localiser sans avoir à les approcher. Tandis que le second groupe constitué d’une centaine d’individus n’en avait pas. L’idée des chercheurs étaient de les retrouver pour savoir s’ils portaient ou non des pique-boeuf sur le dos. Le résultat est sans appel, Roan Plotz l’affirme :« Nous avons estimé qu’entre 40 et 50 % de toutes les rencontres possibles avec les rhinocéros noirs ont été entravées par la présence des pique-bœufs » La seconde étape consistait à s’approcher des rhinocéros avec ou sans oiseaux sur le dos afin d’observer leur comportement. 86 tentatives plus tard, il s’est avéré que tous les mammifères portant un ou plusieurs oiseaux sur eux ont montré des signes suggérant qu’ils avaient détecté la présence humaine autour d’eux. Mieux encore, plus il y avait d’oiseaux sur eux, plus la distance de détection était grande. En revanche, en l’absence de ce dernier, seuls 23 % des cas ont montré des signes d’agitation. Les chercheurs ont aussi relevé qu’à chaque fois qu’un rhinocéros entendait le cri d’un pique-boeuf, il se réorientait afin de se trouver face au vent. Même si les intentions du pique-boeuf ne sont pas tout à fait claires, il n’en reste pas moins un protecteur de ces animaux en voie de disparation et pourrait être d’une grande aide pour lutter contre le braconnage. Il existe dans la nature énormément de rapports mutualistes entre animaux ou entre plantes et animaux et vice et versa. Comme nous l’avons écrit plus haut, notre anthropocentrisme nous éloigne indéniablement du fonctionnement de la nature et de sa force à s’auto-organiser et se protéger. Il n’en reste pas moins qu’en langue swahili, le pique bœuf rouge se dit Askari Wa Kifaru, qui signifie « gardien des rhinocéros ». Ce qui prouve qu’à l’instar de nos ancêtres qui chassaient avec la conscienceque tuer était un acte grave, il n’est pas devenu impossible d’apprendre à observer et respecter le vivant dans son ensemble.